Proposition de sujet de thèse en vue de l’obtention d’un contrat d’établissement – 2024
Sous la direction de
Filali Osman, professeur agrégé des facultés de droit, droit privé et sciences criminelles
Gilles Lhuilier, professeur agrégé des facultés de droit, droit privé et sciences criminelles, ENS Rennes Membre senior de l’Institut universitaire de France, UMR 6262
1. Description du projet de thèse
A. Contexte scientifique et état de l’art
Les litiges en matière de droit de l’environnement et de droit de l’homme connaissent aujourd’hui une évolution portée par l’émergence de nouvelles formes de régulations transnationales : l’obligation de due diligence, nouveau nom de la responsabilité sociale des entreprises (R.S.E.) désormais obligatoire, introduite par de nombreux États européens, et bientôt généralisée au niveau de l’Union européenne, va imposer de nouvelles formes de médiation et d’arbitrage de la chaîne de valeur dites parfois « environnementales ». Ces contentieux de la vigilance dans la chaîne de valeur présentent de grandes singularités, qui surprennent parfois les praticiens : rôle accru des populations locales ; dimension scientifique des situations (enjeux de preuves, d’évaluation du dommage écologique) ; droit applicable au fond (conventions internationales en matière d’environnement ou de droits humains, Soft Law des organisations internationales intégrées lors de la contractualisation de la médiation ou de l’acte de mission…), etc.
Une recherche s’impose donc pour objectiver le droit de l’alternative dispute resolution (ADR) dans la chaîne de valeur, les pratiques actuelles, et aider les entreprises et parties prenantes à s’inspirer des best practices et du droit positif dans l’élaboration des modes de régulations adaptés aux évolutions de la matière environnementale et du droit international, adaptées à leur chaîne de valeur (biens/services/industrie/Europe/Chine/Afrique/etc.).
2. Argumentaire technique et scientifique : Problématique, enjeux, méthodologie
Problématique
Les nouvelles régulations sociales et environnementales ont fait naître un besoin de droit dans les chaînes de valeur. De nombreuses initiatives professionnelles (« Compact ») ou institutionnelles (Hague Rules On Business and Human Rights Arbitration ; règlement facultatif de la CPA pour l’arbitrage des différends relatifs aux ressources naturelles et/ou à l’environnement) témoignent de l’intérêt des acteurs pour l’adoption de bonnes pratiques de médiation et d’arbitrage. En matière environnementale, les praticiens et les institutions ont identifié des besoins similaires (rapport de la CCI « Resolving Climate Change Related Disputes through Arbitration and ADR ») sans pour autant proposer la formulation de règles d’arbitrage spécialisées pour y répondre.
Enjeux
Ce besoin de droit apparaît à trois niveaux :
a) La médiation et l’arbitrage dans les grands contrats de la transition écologique
Les grands projets nécessaires à la transition écologique dans le domaine extractif, de la construction, de l’eau, des nouvelles technologies, de la finance, etc., se heurtent désormais à la question de l’acceptation sociale par les populations locales, et ce même en Europe. Or, cette acceptation ne peut être obtenue que par la co-rédaction du projet et sa co-gestion. La co-construction de ces projets pose notamment la question de l’identification des parties prenantes, des modalités de leur association à la rédaction du contrat, des normes applicables à cette relation. Une médiation et un arbitrage spécifiques aux grands projets écologiques sont cependant encore à construire en synthétisant les bonnes pratiques.
b) La médiation et l’arbitrage dans la chaîne de valeur
D’une part, la France et l’Union européenne, avec deux projets de directive sur l’obligation de vigilance dans la chaîne de valeur, sont à la pointe d’un mouvement mondial obligeant les entreprises à retracer leur chaînes de valeur, établir des plans de vigilance, ainsi que des mécanismes de résolution des litiges dans ces chaînes de valeur. Le droit positif est muet sur les formes que doivent prendre ces mécanismes ; seuls certains secteurs comme celui des industries extractives ont développé des mécanismes ad hoc tendant désormais à se structurer.
D’autre part, la multiplication des réglementations environnementales, auxquelles sont soumis les distributeurs sur le marché européen, accroît le risque de compliance des entreprises. L’introduction de nouvelles normes (notamment de spécifications techniques) entraîne des difficultés d’exécution dans les contrats de long terme et de sous-traitance. Seul un modèle de médiation et d’arbitrage spécifique permettra alors de garantir la stabilité des relations commerciales.
Enfin, les aléas climatiques sont susceptibles d’entraîner des difficultés d’exécution des contrats le long de la chaîne de valeur. L’accélération du dérèglement climatique va multiplier les occurrences de ces difficultés, pour lesquelles il n’existe pas encore de mode de régulation établi.
c) La médiation et l’arbitrage dans les organisations internationales
Divers mécanismes de règlement des litiges ont été institués dans des organisations internationales, tel le PIDESC, mais ce sont les mécanismes des institutions financières internationales (notamment la Banque mondiale) qui sont les plus innovants.
Ces différents cas, en dépit des différences, montrent à la fois l’importance des modes de résolution des différends environnementaux comme outils de bonne gestion des chaînes de valeur, et la singularité des questions de droit qu’ils posent, se situant non pas dans un for mais dans une chaîne de valeur. Des solutions sui generis tel un règlement d’entreprise ADR intégré à la chaîne de valeur, ont ainsi vocation à devenir un véritable instrument de management des risques.
Hypothèses
Ces divers modes de résolution des litiges répondent à des situations juridiques proches et peuvent relever de solutions identiques.
Méthodes
Quant à l’analyse juridique, la méthode casuistique permettra d’identifier les principales incertitudes : parties à la procédure ; loi applicable au fond, à la procédure, à défaut de « for » dans la chaîne de valeur ; exécution de la décision, etc. Une méthode d’enquête permettra le collectage d’exemples de grandes entreprises. Une méthode comparative associera les 26 UMR dit UMIFRES, CNRS MAE dans 4 continents (https://www.umifre.fr). La méthode sera ainsi globale, multiculturelle en ce qu’elle s’intéressera aux droits et pratiques chinoises, africaines, latino-américaines, etc. La méthode sera enfin collaborative, associant de grandes entreprises européennes et africaines.
3. Objectifs et résultats escomptés
Cette recherche vise à vérifier le rôle effectif des modes alternatifs de résolution des différends (MARD/ADR) dans les domaines de l’environnement, social, des droits humains, comme outils préventifs et curatifs de bonne gestion des chaînes de valeur, alors même que les questions de droit qu’ils posent, sont portés non dans un for étatique, inter-étatique, mais dans une chaîne de valeur. Des solutions sui generis tel un règlement d’entreprise ADR, un code de conduites, des guidances contractuelles et contrats types, intégrés à la chaîne de valeur, ont ainsi vocation à devenir des instruments de prévention et de gestion des risques. Dès lors qu’ils répondent à des situations juridiques proches, peuvent-ils relever de solutions identiques ?
4. Laboratoire(s) de rattachement et Insertion du projet dans les axes de recherche du CRJFC
Cette thèse s’inscrit parfaitement dans 3 des 4 axes du contrat quinquennal du Centre de recherches juridique de l’université de Franche-Comté (CRJFC, UR 3225) :
Axe 1 « la confiance publique » : ici « la stabilité de l’ordre social et aux moyens de le perpétuer : légitimité, impartialité, intégrité, transparence, éthique, sécurité juridique, confiance légitime, bonne foi, etc. ». Ici, c’est la notion d’acceptation sociale qui est centrale comme encadrant tout cela.
Axe 3 « Nouvelles justices, nouveaux juges » : incluant les trois volets : l’accès au juge et son contournement ; l’office du juge ; les figures du juge. Dans « l’accès au juge et les alternatives au procès »,on s’intéressera à l’évolution des outils -mécanismes de plaintes en matière de devoir de vigilance, etc.- permettant aux justiciables vulnérables d’accéder au juge, aux personnes, physiques ou morales (associations, ONG…), susceptibles de prétendre à cet accès. Le recours aux MARD/ADR enrichis et originaux en matière de prévention et sanctions des atteintes au devoir de vigilance. Concernant le volet relatif à « l’office du juge », on évoquera « les questions portant sur l’exécution des décisions de justice comme résultat de l’exécution par le juge de son office dans une dimension internationale et comparatiste pourront également être abordées », notamment, lorsqu’il s’agira de contribuer à l’exécution éventuelle des décisions issues des mécanismes de règlement des différends propres à une chaîne de valeur. Enfin, pour le volet sur les « figures du juge » dont il est attendu qu’il arbitre, concilie et cherche à adapter le droit aux nouvelles attentes de la société, on pourra vérifier si le juge dispose d’outils processuels pour contribuer à l’effectivité de ces MARD/ADR intra-chaines de valeur.
Axe 4 « Humanités juridiques » : L’époque contemporaine connaît un élargissement considérable des prérogatives reconnues aux personnes en tant que telles. Reconnus d’abord dans les relations de droit public, ces droits fondamentaux se diffusent aujourd’hui dans les rapports privés pour embrasser toutes les sphères de la vie sociale. Le projet vérifiera que ces mécanismes intra-chaines de valeur contribuent à l’éthique d’entreprise. L’entreprise ne se limiterait plus à revendiquer des droits économiques, comme la libre concurrence, le droit d’entreprendre, mais serait également source de droits humains. Tout cela est garanti par la notion d’état de droit environnemental, tel que développé par l’ONU en dans son rapport sur le droit de l’environnement.
Calendrier et procédure de candidature : https://dgep.ubfc.fr/these/offres-de-theses/
Informations complémentaires : filali.osman@univ-fcomte.fr