Centre de recherches juridiques
de Franche-Comté (UR 3225)

Camille FERNANDES, « La liberté académique est un bien commun au service de la démocratie et de la société dans son ensemble » (tribune)

Dans un rapport récemment rendu public, la chercheuse et directrice du Centre de recherches internationales (CERI) de Science Po, Stéphanie Balme, soulignait la nécessité de « favoriser, au sein de la société, l’émergence d’une culture partagée, vivante et exigeante de la liberté académique ». Cette proposition fait partie des dix, sur soixante-cinq, à avoir été retenue par France Universités, qui marque ainsi sa volonté de « promouvoir une culture de la liberté académique dans la société ».

Il faut en effet comprendre que la liberté académique n’est ni un privilège, ni la marotte d’un corps professionnel en mal de reconnaissance. Elle est un bien commun au service de la démocratie et de la société dans son ensemble, indispensable au progrès de la science et à la délivrance d’enseignements supérieurs dignes de ce nom. Si la France veut tenir son rang de puissance scientifique, il lui revient alors de faire de sa défense une priorité. La liberté académique est en outre une liberté fondamentale pour la préservation et la promotion des droits et libertés des citoyens. Elle n’est pas circonscrite aux murs de l’université et aux « campus », mais rayonne partout où le débat public s’installe : dans la presse écrite, sur les plateaux de télévision voire sur les réseaux sociaux. En permettant aux universitaires de s’exprimer librement « hors les murs » dans leurs domaines d’expertise, tout en s’astreignant au respect d’une rigueur éprouvée depuis l’aube de leur formation académique, elle favorise le positionnement éclairé des citoyens dans le débat public qui peuvent dès lors se forger leur propre opinion loin des informations fallacieuses ou autres fake news.

Dans ce contexte, l’une des meilleures façons de défendre la liberté académique aujourd’hui est d’en expliquer les raisons d’être, les finalités et les buts. Il est effectivement indispensable de créer une véritable « culture de la liberté académique » et de la propager le plus largement possible. Avant même sa constitutionnalisation, une telle vulgarisation d’un concept perçu à tort comme corporatiste pourrait freiner les velléités rétrogrades de gouvernements illibéraux. Inscrire la liberté académique dans la Constitution, bien que souhaitable sous réserve d’une rédaction appropriée, ne serait pas pour autant la panacée annoncée.

Il faudrait d’abord que des juges soient en mesure de la faire prévaloir correctement, ce qui n’est pas évident tant, on y revient, les rouages subtils de cette liberté sont méconnus. On opposera qu’il suffirait de détailler par le menu le contenu de la liberté académique et de ses garanties, mais est-ce bien la vocation de la Constitution que de régir le détail d’une liberté professionnelle ? Il faut ensuite reconnaître que les textes ne sont finalement que peu de choses face à une volonté politique forte et affirmée, si bien que rien n’empêcherait une réécriture ultérieure de la norme suprême. A l’inverse, former les citoyens à l’importance de la liberté académique, à l’image de ce qui peut exister pour la liberté de la presse, paraîtrait une muraille – civique et non de papier – solide. Cette « culture de la liberté académique » devrait permettre d’insister sur le fait que, contrairement à une idée reçue, cette notion ne recouvre pas qu’un ensemble de libertés et de droits ; certains diraient de « passe-droits ». La déontologie en est une composante à part entière, laquelle suppose le respect de nombreuses exigences : objectivité, tolérance, rigueur, impartialité, indépendance, etc. Pour le dire autrement, liberté académique et déontologie académique sont indissociables, étant les deux faces d’une même médaille. Max Weber l’affirmait déjà en novembre 1917 en soulignant, à l’occasion de sa conférence La profession et la vocation de savant, que le professeur ne devait en aucun cas être un « prophète de la chaire » mais, selon la formule de Bruno Karsenti, « un savant en possession d’une éthique professionnelle bien fondée ». Faire comprendre que les universitaires, suivant les devoirs et contraintes qui s’imposent à eux en vertu de la liberté académique elle-même, sont dans la recherche systématique de la vérité et non dans l’édiction de simples jugements de valeur, devrait contribuer à favoriser la restauration d’un lien de confiance indispensable entre l’université et les citoyens.

Le Monde, 26 octobre 2025 : https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/10/26/camille-fernandes-juriste-la-liberte-academique-est-un-bien-commun-au-service-de-la-democratie-et-de-la-societe-dans-son-ensemble_6649725_3232.html