Ce dossier d’« Histoire de la justice » semble parler abondamment de droit, et fort peu d’histoire. Fausse impression. Les différents récits juridiques proposés, bien que portant pour la plupart sur notre époque contemporaine, traitent d’une histoire universelle : celle, dans notre approche de la justice, de la victime. Car la fonction de la victime, tragique place, est de fonder la société en amorçant l’histoire : « Or quand le roi sauvage d’Albe [Tiberinus] meurt au milieu des eaux, il ôte à ces eaux leur pouvoir d’oubli, le fleuve, jamais, ne sera plus blanc, ne sera plus jamais Albula. […] L’histoire vient de commencer ». (Michel Serres, Rome. Le livre des fondations, Paris, Grasset, 1983).
C’est ce que nous dit aussi le meurtre de Cacus par Hercule (ill. en couverture), autant que le sacrifice du boeuf fabuleux que Cacus avait volé : les deux victimes participent de la fondation de Rome ; les deux victimes archétypiques rassemblent à elles seules toutes les autres. Elles en sont le miroir étincelant.
L’avènement juridique de la victime est au fond le récit à rebours du trajet de la victime dans l’histoire de notre société : où l’on pense que le droit se saisit trop récemment de la victime. Au contraire, le droit n’a jamais ignoré la victime, qu’il nommait autrement. Seulement dans les dernières années du XXe siècle, le droit a offert un nouveau statut à la victime en l’institutionnalisant et en l’objectivant : il en a organisé l’avènement, c’est-à-dire la toute-puissance.
Avec les contributions de Boris Bernabé, Emmanuel Cartier, Charles Fortier, Anne-Laure Girard, Marie-Clotilde Lault, Coralie Mayeur-Carpentier, Rémy Prouvèze, Marie-France Steilé-Feuerbach, Fabienne Terryn, Michel Van de Kerchove (1944-2014).